Un film de Val Guest
Notre récente chronique de L'île de la terreur chez notre confrère Mariaque aura paradoxalement redonné le goût d'un nouveau cycle Hammer, en commençant par la trilogie fondatrice de Quatermass. Si Terence Fisher est le réalisateur majeur de l'âge d'or du studio Hammer, Val Guest occupe la place de précurseur, oeuvrant surtout au cours des années 50, jusque l'électro-choc produit par Frankenstein s'est échappé (Terence Fisher, 1957), puis surtout Le cauchemar de Dracula (Terence Fisher, 1958). On lui doit en 1954 La revanche de Robin des bois, et le très bon Le redoutable homme des neiges en 1957 ; mais il est surtout connu pour les deux premières aventures cinématographiques de Quatermass, Le Monstre (1955) et La Marque (1957), dont le premier scellera le destin de la Hammer, empruntant dès lors exclusivement le sentier du fantastique.
Adapté d'une pièce radiophonique de Nigel Kneale pour la BBC, Quatermass est un scientifique chevronné confronté à des phénomènes extra-terrestres. Cependant, loin d'être une figure unilatérale du bien, Quatermass cache également une détermination pouvant aller jusqu'à l'obsession.
Dans un sublime noir et blanc, hanté par les violons atmosphériques et menaçants de James Bernard, Le Monstre (The Quatermass Xperiment) débute par la chute d'un objet non-identifié dans une zone campagnarde ; cette séquence est d'ores et déjà marquante, d'une part par l'usage d'un travelling latéral qui participe au sentiment d'urgence. En effet, entendant un bruit suspect mais familier, un jeune couple se précipite dans leur proche habitation. D'abord à l'extérieur, la scène est vécue de l'intérieur, où la chute de l'objet cause l'effondrement de tout le mobilier à l'intérieur de la maison, comme l'aurait provoqué un tremblement de terre... ou un bombardement. L'analogie avec les bombardements subis par l'Angleterre lors de la seconde guerre mobdiale est ici évidente, alors même qu'au tout premier plan du film, les amants se jettent semble-t-il innocemment dans les bottes de foins... déjà comme pour éviter les retombées d'une explosion.
la fusée des astronautes fichée dans le sol
Le soin apporté à ces séquences d'entame donne le ton : le mouvement perpétuel de la caméra lors de l'arrivée des pompiers entraînant le film dans une précipitation palpable, jusqu'au dévoilement de l'objet de toutes les attentions. L'apparition de la fusée, renversée et à l'oblique, fait partie des images marquantes du film. Insérées dans la séquence, on remarque deux autres scènes intéressantes : l'une, montrant en plan fixe un speaker de radio puis finissant par une gros plan sur un micro, insiste sur l'importance qu'aura le médium dans le film, relais primordial des informations et objet omniprésent dans la dernière séquence du film. L'autre introduit le personnage-titre, en route avec son équipe vers le lieu du désastre, où l'on comprend deux choses : le scientifique est responsable de l'accident, ayant envoyé des astronautes sonder les profondeurs galactiques ; puis, son personnage est cerné en quelques phrases sèches et un air inflexible (Brian Donlevy, imperturbable).
L'astronaute rescapé va progressivement subir une atroce transformation, dont se souviendra sûrement le Cronenberg de La mouche (1986) : d'abord plongé dans le coma, sa structure osseuse semble subir de subtils chagements ; à son réveil, il va, tel un fantôme, s'élever doucement sans attirer l'attention du personnel pourtant à deux pas. Lorsque, à l'hôpital, la volonté de la créature prend le dessus sur l'homme pour le faire fusionner avec une plante, l'impact esthétique et sensitif de la douleur est saisissant.
Val Guest va utiliser un ressort qu'on trouve aujourd'hui couramment au cinéma, tous genres confondus : le film retrouvé, ou found footage. Ainsi est récupéré et restauré comme une boîte noire vidéo, montrant le déroulement des événements lors du voyage retour de la navette. Ne montrant finalement pas grand-chose, la séquence est tout de même marquante par le contenu potentiel qu'elle peut révéler. Comme pour la première séquence, le choix cinématographique va dans le sens de l'économie de moyens, en n'oubliant pas de proposer un spectacle visuel qui fait pleinement sens. Roy Ward Baker réutilisera d'ailleur le procédé en le faisant évoluer (les scientifiques peuvent visionner une projection mentale) dans Les monstres de l'espace (1967), le dernier épisode cinématographique de la série.
Impressionante enfin, la scène finale voyant la créature être traquée jusque dans l'église de Westminster, nous donne presque l'impression d'être du côté du monstre, s'étant comme réfugié dans le lieu saint. Visuellement, même si le résultat est un peu moins pathétique que les aspirateurs serpentés de L'île de la terreur (Terence Fisher, 1966), il n'est pas convaincant pour autant, donnant dans le caoutchouteux vaguement lovecraftien. On retiendra surtout la pirouette finale, Quatermass étant confronté à son échec mais refusant d'en prendre acte : "Je recommencerai", affirme-t-il silencieusement en s'enfonçant, seul, dans le London Fog... Terminant ainsi en beauté cette incursion réussie de la Hammer dans le fantastique.